vendredi 12 février 2010

Peter Kubelka, encore et toujours

Pour prolonger le cours d'Esthétique, théories et politique du cinéma en L2, voici Adebar, second film du cinéaste expérimental autrichien Peter Kubelka, après son Mosaïk im Vertrauen (1954-55) qui lui valut d'être expulsé du Centro Sperimentale di Cinematografia de Rome.


La très mauvaise qualité de l'encodage numérique ne rend pas justice à la beauté des noirs et blancs non pixellisés du 16 mm original. Contrairement à The Very Eye of Night, poème cosmique et dansé entièrement en négatif que livre en 1958 Maya Deren, Adebar substitue aux mouvements ébauchés des danseurs la dynamique métrique du montage. Kubelka a en effet conçu différentes règles pour structurer les rapports entre ombre et lumière qui fondent tout film :
- "chaque portion de l'écran, à la fin de la projection, doit avoir reçu la même quantité de lumière;
- chaque boucle de photogrammes doit rencontrer toutes les autres;
- un positif ne peut jamais rencontrer un négatif (etc.)"

Après ces principes programmatiques, quelques notations fragmentaires sur la bande que vous venez de voir. Il s'agit d'une part de courtes boucles sonores, où la même suite de notes jouées à la flûte revient continûment toutes les 4 secondes environ, et d'un montage de plans récurrents dont la discontinuité répond à des logiques d'alternance strictes : noir et blanc (positif et négatif), mais aussi mouvement et fixité, identification et opacité...

D'autre part, la macrostructure de cette version d'Adebar consiste elle aussi en une répétition, à l'identique, de la première partie, jusqu'à l'apparition du nom du cinéaste, de la date et du titre du film. Ainsi s'explique le mystère relatif de la durée de ce très court-métrage dont la version distribuée par Lightcone est censée durer 3 minutes et celle qui est disponible sur You Tube fait exactement 2 minutes 28 secondes. Comme souvent en matière de cinéma expérimental, le dernier mot revient à Nicole Brenez qui évoque dans Cinémas d'avant-garde les 1664 photogrammes et 69 secondes d'Adebar (24 photogrammes par seconde).

Les images circulant sur internet ont donc multiplié par deux le programme du cinéma métrique de Kubelka et pris au mot l'idée que "chaque instance cinématographique recèle des possibilités illimitées en matière de montage, pour une dialectique infinie entre continu et discontinu, matériel et immatériel, visible et invisible" (Brenez). De quoi prolonger encore davantage la puissance hypnotique d'Adebar...

A moins que vous ne préfériez l'ésotérisme de Maya Deren.

2 commentaires: